L'attaque du 10 mai 1915 (4e partie et fin)
Pertes du régiment au cours de ce combat
Dans son rapport, le capitaine Libéros dénombre un total de 108 hommes tués, blessés ou disparus, nuançant ensuite ce chiffre en précisant que certains hommes, blessés ou valides, avaient pu ultérieurement (les 11 et 12 mai) regagner les lignes françaises.
Le J.M.O., quant à lui, énonce les pertes suivantes pour les 1ère et 2e Cies du 74e R.I. :
Tués :
- sous-officier : 1
- caporaux et soldats : 6
Blessés :
- officier : sous-lieutenant Olivier
- sous-officiers : 9
- caporaux et soldats : 45
Disparus :
- sous-officier : 1
- caporaux et soldats : 9
Soit : 7 tués, 10 disparus et 54 blessés.
Mes recherches sur Mémoire des Hommes m’ont permis, à ce jour, de trouver les fiches de 18 combattants du 74e R.I. tués au cours de ce combat :
Besnard, Henri, Joseph, né en 1888
Bougon, Roland, François, né en 1882, sergent
Chanu, Charles, Eugène, né en 1881
Colé, Marcel, Raymond, né en, 1894
Courtois, Georges, Edouard, né en 1890, caporal
Dubuc, Léopold, Juste, né en 1883
Gautier, Maurice, Paul, né en 1890, sergent
Goulay, Jules, Emile, né en 1882
Guillemâtre, Emile, Albert, né en 1890
Lahure, Emile, Marcel, né en 1882
Lesueur, Louis, Ernest, né en 1893
Neveux, Baptiste, Léon, né en 1890
Niel, Albert, Maurice, né en 1888
Picory, Louis, Georges, né en 1891
Quesnel, Ferdinand, Maurice, né en 1889
Quesnel, Georges, Jean, né en 1893, caporal
Simonin, Albert, Henri, né en 1892
Vic, Raymond, Félicien, né en 1893
Voir le diaporama.
Aujourd’hui, Lesueur (Louis, Ernest) est inhumé à la Nécropole de Berry-au-Bac et Chanu, Dubuc, Guillemâtre, Neveu, Picory, Quesnel (Ferdinand) sont inhumés à la nécropole de Pontavert.
Enfin, reste une énigme concernant le soldat Lesueur, Louis, Toussaint, né en 1883. Sa fiche indique qu’il a été tué le 11 mai 1915 à … Neuville-Saint-Vaast !! Or, le régiment n’y était pas encore à cette date et pour cause !! Alors, erreur de date ou de lieu sur la fiche ??? J’aurais tendance à privilégier une erreur dans la retranscription du lieu de décès et à penser que cet homme a bien été tué au Mont-Doyen, au côté de ses 18 camarades…
Pour finir sur cette affaire, je vous propose un dernier éclairage ; il s’agit d’une lettre que Roland Dorgelès écrivit à Mado. Il était alors au 39e R.I. et participa, avec son unité, à ces combats auxquels furent mêlées les deux compagnies du 74e R.I. :
13 mai 1915
Mon Madelon,
Impossible d'écrire depuis deux jours. Vu combat très violent dans les bois, près de Berry. Nuit et jour à la pièce, sous des rafales d'obus et dans une fusillade folle. Les attaques succédaient aux contre-attaques, ou inversement. Aujourd'hui, on croyait tout fini. Les boches recommencent à tirer. Il y a une heure, un minenwerfer est tombé à l'entrée de notre gourbi, arrachant tout et nous renversant pêle-mêle. Bien cru que c'était le dernier acte... En ce moment, 8 camarades, dont le sergent sont encore couchés, à demi conscients : l'ébranlement cérébral. On vient d'emporter 2 blessés. Poste très dur qui gêne les boches, car notre butte les fauche par files. Alors, ils bombardent. Nous avions deux abris pour les pièces, il n'en reste qu'un. L'autre défoncé par un obus : 3 morts dont 1 sergent.
Pendant leurs trois attaques, les Allemands ont perdu beaucoup de monde, par le 75 et nous - les pourceaux ont attaqué sans fusils, armés de revolvers, de grenades, et de couteaux à cran d'arrêt. Une boucherie dans les boyaux. Ils ont tout d'abord enlevé une partie d'un des bois, que nous avons repris à la baïonnette. Pendant ce temps-là nous fauchions au tir rapide leurs réserves qui arrivaient.
Je t'écris de ma pièce, dans une sorte de trou où l'on ne peut se tenir à genoux, et par mon créneau, entre les boches et nous (250 mètres) j'aperçois les morts étendus - les nôtres et les leurs. Spectacle déchirant qui n'émeut même plus.
Hier, toute la nuit, on entendait les blessés appeler: « Un tel, tel régiment ... Ne me laissez pas... je suis blessé... je vais mourir ... » Et les autres qui râlaient « Maman ». Atroce ! Et impossible d'y aller : les fusées et les projecteurs donnaient, et les balles sifflaient dru. Enfin, on a pu aller les chercher hier au soir, quel soulagement! ! Ils avaient passé 40 heures dehors, entre les cadavres, sous les obus. Les boches nous avaient fait l'honneur d'envoyer contre nous le 84e prussien, le régiment de l'impératrice. Nous y avons fait des trous...
Quelles heures ! Quel spectacle ! Un de nos régiments a contre-attaqué en criant « France ! France ! » avec les clairons. C'était fou. A ce moment c'est moi qui tirais (chargeur et tireur se remplacent car on s'énerve assez rapidement), je te jure que je fauchais avec rage.
Tout près d'ici, dans un boyau, un Prussien cloué sur le parapet, d'un coup de baïonnette, comme un papillon. Tête renversée. Zut, encore un mineur à l'entrée du gourbi ! Sûrement ils préparent encore une contre-attaque. Suis flapi, mange à peine et dors pas.
Dès que nous aurons « décroché » ici, nous partirons enfin pour la fameuse destination inconnue. Mais, pour l'instant, impossible de bouger. Nous sommes depuis midi complètement coupés des 2e lignes : boyaux bouleversés, éventrés. Peu importe
Ils ne passeront pas.
Comment va Becque ? Peu de gens dans son entourage immédiat, semblent souffrir de le voir si cruellement atteint.
C'est vrai, on oublie, comme on les oublie tous. Quelle misère !!
Je t'embrasse bien fort.
Roland.
In « Je t’écris de la tranchée », Roland Dorgelès, 2003, Albin Michel, pp. 272-273. A lire absolument pour mieux connaître l’auteur des Croix de Bois !! A ce propos, je rappelle ce petit post dans lequel il était déjà question de Dorgelès…