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10 juin 2005

Les combats du Labyrinthe - 4

Quittons un peu le J.M.O. et les rapports. Mais, avant de revenir aux témoignages de combattants, je vous propose de faire un petit détour par la presse de l'époque.

Le Miroir

Extraits des communiqués officiels ouvrant le journal chaque semaine (où l'on constate que l'on en finit pas d'avancer... Mais jusqu'où s'arrêteront-ils nos braves soldats ??? ;-)

3 juin
Nous avons enlevé de nouvelles tranchées dans le Labyrinthe, au sud de Neuville-Saint-Vaast.
4 juin
Lutte d'artillerie au nord d'Arras, avec des actions d'infanterie à l'est de Notre-Dame-de-Lorette, où les positions n'ont pas varié, et dans la région du Labyrinthe, où nous avons progressé. Dans les trois derniers jours, nous avons fait ici 800 prisonniers et capturé deux mitrailleuses.
5 juin
Nous avons (...) gagné 100 mètres encore dans le Labyrinthe.
6 juin
Nous avons réalisé des progrès (...) dans le Labyrinthe où nous avons gagné 450 mètres.
7 juin
Nous avons progressé de 100 mètres dans le Labyrinthe dont nous tenons maintenant les deux tiers.
8 juin
Au Labyrinthe, nous avons poursuivi notre marche vers le réduit central, en repoussant toutes les contre-attaques.
9 juin
Dans le Labyrinthe, après avoir refoulé une offensive, nous avons accompli de légers progrès.
10 juin
Dans le Labyrinthe, nous avons avancé au sud-est.
11 juin
Nous progressons dans le Labirynthe.

Etc. (à noter que d'autres unités - de la 53e D.I. - étaient engagés au Labyrinthe en même temps que le 74e R.I.)


Le Pays de France

lemenu

Sur cette photo, parue dans le n° 41, juillet 1915, de la revue le Pays de France, trois combattants du 74e R.I. posant en Artois. Titre : "Après la prise de la Targette". La photo n'est pas située. Si quelqu'un a une idée... Je remercie grandement Michel Moreau qui m'a signalé ce document. Sans lui, il n'était pas possible de deviner que ces hommes étaient du 74e R.I., la censure obligeant la presse àretoucher les photos publiées, et notamment à masquer les numéros des unités apparaissant sur les pattes de col des uniformes des combattants. Le soldat de droite est le grand-père de son épouse, Marcel LEMENU. Il était alors infirmier au 74e R.I. (classe 1906). Il est passé à travers les rafales d'aciers...


L'Illustration

Extrait d'un article de Francis Dortet, paru dans le numéro du 19 août 1916, et rapportant un épisode des combats du Labyrinthe parmi tant d'autres. Je n'ai pas réussi à retrouver l'identité de ce brave caporal-fourrier :

" C'est au cours de ces journées du Labyrinthe que le caporal-fourrier S..., du 74e régiment d'infanterie, resté seul avec une vingtaine d'hommes dans une tranchée qu'ils venaient d'assaillir, organisa une magnifique résistance. Presque cerné, sans liaison avec le reste du régiment, blessé d'une balle à la main, il maintint la position conquise à coups de grenades pendant des heures. Il espérait être ravitaillé en munitions pendant la nuit, sinon renforcé, et il exaltait par son entrain le courage de ses camarades. Une nouvelle balle le blessa à la tête. Il s'affaissa et on l'étendit au fond du boyau.

- Tenez bon ! dit-il aux autres. Nous serons dégagés. Avez-vous encore des grenades ?

Hélas ! la provision s'épuisait... Et il n'y avait déjà plus de cartouches... Les Allemands pouvaient, par une brusque irruption, faire prisonniers ces vingt braves désormais sans défense.

Le caporal-fourrier S... leur donna l'ordre de battre en retraite.

- Le jour vient et dans une heure il serait trop tard ! On voulut l'emmener. Il refusa.

- Je vous embarrasserais, protesta-t-il. Rejoignez le régiment et rendez compte de la situation, je reste.

Au petit jour, en effet, les Allemands refluèrent de ce côté, mais pas pour longtemps. Car les émules du caporal-fourrier S... ne tardèrent pas à les déloger une fois de plus de la position, et dans un bel élan conquirent une autre ligne de tranchées ennemies. "

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Commentaires
B
La nuit se passa à la relève et à la reconnaissance des postes. La première ligne et notre ligne de support étaient dans un désordre atroce. Dans chaque baie, des blessés du 8ième bataillon gémissaient, nous suppliaient de les sortir, de ne pas les laisser mourir là. Des volontaires, harassés cependant, s'offrirent.Nous n'avions qu'un brancard par compagnie. Au moyen des toiles cirées et des capotes, nos plus <br /> courageux firent des civières de fortune. Tous les blessés furent transportés à l'hôpital d'évacuation. Quelques-uns embrassaient les mains de leurs sauveurs. Comme les Allemands étaient comme nous occupés à sortir leurs blessés, la nuit fut d'un calme surprenant. Nous n'eûmes aucune perte à regretter, ce qui était surprenant, car généralement ceux qui se dévouent à sauver leurs camarades paient presque toujours leur courage par une blessure même par la mort.<br /> <br /> Mais quand l'aube parut, avec le soleil de juin, dans un ciel si bleu, si pur, quand les rayons frappèrent ce champ de morts et cette terre sanglante, nos yeux fatigués, s'agrandirent d'épouvante. De ce qui avait été notre ancienne première ligne et de ce qui restait de la première ligne allemande, le mot n'existait pas <br /> pour le définir: c'était quelque chose d'inommable. Dans nul secteur, même à Douaumont, pareille calamité ne pouvait exister. Aucune tranchée ne restait tracée. Le sol,en avant et en arrière de nous, sur nos flancs, était retourné, révulsé, couvert d'éboulements noirs, calcinés, brülés. On eût cru que l'ennemi avait voulu en extirper les racines. Des fusils brisés, des mitrailleuses en lambeaux, des caisses de munitions défoncées, des rouleaux incalculables de fils barbelés, des pics, des pelles, des pieux, des baïonnettes et des lambeaux de chair gisant lamentablement parmi des entrailles ouvertes, des bras déchiquetés, des jambes arrachées, des cranes défoncés, chairs glorieuses et funèbres, éparses et remuées par les vers.<br /> <br /> Le bois du Sanctuaire dormait de sa mort de martyr. Les troncs se tordaient dans un enchevêtrement tragiques. Les racines, soulevées par les explosions, n'offraient plus qu'un désolant aspect d'horreur et de sacrilège, car on y apercevait des morceaux de chairs humaines et des haillons de soldats. Les abris avaient été complètement rasés. Sous les branches brisées et sous les troncs arrachés quatre cents cadavres allemands et canadiens, aux mains glacées, crispaient des fusils, des baïonnettes, des poignards, des bâtons. Vision tragique: ils dormaient, quelques uns enlacés, comme si la mort eût voulu les réconcilier. Des traces de sang, d'un sang noir, repoussant, s'égouttaient dans l'empreinte des pas sur cette terre fraîchement remuée et gonflée de cercueils.<br /> <br /> Au fond d'un ravin, qui avait été un boyau communiquant à la première ligne, une vingtaine de Canadiens écossais avaient été surpris, annihilés, déshabillés. Ces martyrs étaient nus, outrageusement nus, couchés dans le sang. Le soleil de juin éclairait ce tableau lugubre.<br /> <br /> Contre une claie renversée sur un restant de parapet, deux soldats, un Canadien et un Allemand, la baïonnette dans le ventre tous les deux, étaient penchés l'un près de l'autre. Les fusils meurtriers formaient un X. L'Allemand, la tête rejetée en arrière sur un sac de terre, les jambes légèrement fléchies, avait été touché au coeur ; le Canadien, lui, avait le bras gauche cassé, la baïonnette ennemie l'avait traversé de part en part, au-dessus du coeur ; la pointe dépassait en arrière de l'épaule gauche. Sa main <br /> droite était crispée sur l'épaulette de son adversaire, et il s'était éteint là, sur ce bras droit, la tête penchée, à vingt ans tous les deux.<br /> <br /> CORNELOUP, Claudius, Sergent-Major. -L'épopée du 22e bataillon Canadien-français.- Montréal:<br /> "La Presse" | Librairie Beauchemin Limitée, 1919.<br /> - 150 p., ch III, -Ypres.- pp. 41-42.
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B
La nuit se passa à la relève et à la reconnaissance des postes. La première ligne et notre ligne de support étaient dans un désordre atroce. Dans chaque baie, des blessés du 8ième bataillon gémissaient, nous suppliaient de les sortir, de ne pas les laisser mourir là. Des volontaires, harassés cependant, s'offrirent.Nous n'avions qu'un brancard par compagnie. Au moyen des toiles cirées et des capotes, nos plus <br /> courageux firent des civières de fortune. Tous les blessés furent transportés à l'hôpital d'évacuation. Quelques-uns embrassaient les mains de leurs sauveurs. Comme les Allemands étaient comme nous occupés à sortir leurs blessés, la nuit fut d'un calme surprenant. Nous n'eûmes aucune perte à regretter, ce qui était surprenant, car généralement ceux qui se dévouent à sauver leurs camarades paient presque toujours leur courage par une blessure même par la mort.<br /> <br /> Mais quand l'aube parut, avec le soleil de juin, dans un ciel si bleu, si pur, quand les rayons frappèrent ce champ de morts et cette terre sanglante, nos yeux fatigués, s'agrandirent d'épouvante. De ce qui avait été notre ancienne première ligne et de ce qui restait de la première ligne allemande, le mot n'existait pas <br /> pour le définir: c'était quelque chose d'inommable. Dans nul secteur, même à Douaumont, pareille calamité ne pouvait exister. Aucune tranchée ne restait tracée. Le sol,en avant et en arrière de nous, sur nos flancs, était retourné, révulsé, couvert d'éboulements noirs, calcinés, brülés. On eût cru que l'ennemi avait voulu en extirper les racines. Des fusils brisés, des mitrailleuses en lambeaux, des caisses de munitions défoncées, des rouleaux incalculables de fils barbelés, des pics, des pelles, des pieux, des baïonnettes et des lambeaux de chair gisant lamentablement parmi des entrailles ouvertes, des bras déchiquetés, des jambes arrachées, des cranes défoncés, chairs glorieuses et funèbres, éparses et remuées par les vers.<br /> <br /> Le bois du Sanctuaire dormait de sa mort de martyr. Les troncs se tordaient dans un enchevêtrement tragiques. Les racines, soulevées par les explosions, n'offraient plus qu'un désolant aspect d'horreur et de sacrilège, car on y apercevait des morceaux de chairs humaines et des haillons de soldats. Les abris avaient été complètement rasés. Sous les branches brisées et sous les troncs arrachés quatre cents cadavres allemands et canadiens, aux mains glacées, crispaient des fusils, des baïonnettes, des poignards, des bâtons. Vision tragique: ils dormaient, quelques uns enlacés, comme si la mort eût voulu les réconcilier. Des traces de sang, d'un sang noir, repoussant, s'égouttaient dans l'empreinte des pas sur cette terre fraîchement remuée et gonflée de cercueils.<br /> <br /> Au fond d'un ravin, qui avait été un boyau communiquant à la première ligne, une vingtaine de Canadiens écossais avaient été surpris, annihilés, déshabillés. Ces martyrs étaient nus, outrageusement nus, couchés dans le sang. Le soleil de juin éclairait ce tableau lugubre.<br /> <br /> Contre une claie renversée sur un restant de parapet, deux soldats, un Canadien et un Allemand, la baïonnette dans le ventre tous les deux, étaient penchés l'un près de l'autre. Les fusils meurtriers formaient un X. L'Allemand, la tête rejetée en arrière sur un sac de terre, les jambes légèrement fléchies, avait été touché au coeur ; le Canadien, lui, avait le bras gauche cassé, la baïonnette ennemie l'avait traversé de part en part, au-dessus du coeur ; la pointe dépassait en arrière de l'épaule gauche. Sa main <br /> droite était crispée sur l'épaulette de son adversaire, et il s'était éteint là, sur ce bras droit, la tête penchée, à vingt ans tous les deux.<br /> <br /> CORNELOUP, Claudius, Sergent-Major. -L'épopée du 22e bataillon Canadien-français.- Montréal:<br /> "La Presse" | Librairie Beauchemin Limitée, 1919.<br /> - 150 p., ch III, -Ypres.- pp. 41-42.
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B
La nuit se passa à la relève et à la reconnaissance des postes. La première ligne et notre ligne de support étaient dans un désordre atroce. Dans chaque baie, des blessés du 8ième bataillon gémissaient, nous suppliaient de les sortir, de ne pas les laisser mourir là. Des volontaires, harassés cependant, s'offrirent.Nous n'avions qu'un brancard par compagnie. Au moyen des toiles cirées et des capotes, nos plus <br /> courageux firent des civières de fortune. Tous les blessés furent transportés à l'hôpital d'évacuation. Quelques-uns embrassaient les mains de leurs sauveurs. Comme les Allemands étaient comme nous occupés à sortir leurs blessés, la nuit fut d'un calme surprenant. Nous n'eûmes aucune perte à regretter, ce qui était surprenant, car généralement ceux qui se dévouent à sauver leurs camarades paient presque toujours leur courage par une blessure même par la mort.<br /> <br /> Mais quand l'aube parut, avec le soleil de juin, dans un ciel si bleu, si pur, quand les rayons frappèrent ce champ de morts et cette terre sanglante, nos yeux fatigués, s'agrandirent d'épouvante. De ce qui avait été notre ancienne première ligne et de ce qui restait de la première ligne allemande, le mot n'existait pas <br /> pour le définir: c'était quelque chose d'inommable. Dans nul secteur, même à Douaumont, pareille calamité ne pouvait exister. Aucune tranchée ne restait tracée. Le sol,en avant et en arrière de nous, sur nos flancs, était retourné, révulsé, couvert d'éboulements noirs, calcinés, brülés. On eût cru que l'ennemi avait voulu en extirper les racines. Des fusils brisés, des mitrailleuses en lambeaux, des caisses de munitions défoncées, des rouleaux incalculables de fils barbelés, des pics, des pelles, des pieux, des baïonnettes et des lambeaux de chair gisant lamentablement parmi des entrailles ouvertes, des bras déchiquetés, des jambes arrachées, des cranes défoncés, chairs glorieuses et funèbres, éparses et remuées par les vers.<br /> <br /> Le bois du Sanctuaire dormait de sa mort de martyr. Les troncs se tordaient dans un enchevêtrement tragiques. Les racines, soulevées par les explosions, n'offraient plus qu'un désolant aspect d'horreur et de sacrilège, car on y apercevait des morceaux de chairs humaines et des haillons de soldats. Les abris avaient été complètement rasés. Sous les branches brisées et sous les troncs arrachés quatre cents cadavres allemands et canadiens, aux mains glacées, crispaient des fusils, des baïonnettes, des poignards, des bâtons. Vision tragique: ils dormaient, quelques uns enlacés, comme si la mort eût voulu les réconcilier. Des traces de sang, d'un sang noir, repoussant, s'égouttaient dans l'empreinte des pas sur cette terre fraîchement remuée et gonflée de cercueils.<br /> <br /> Au fond d'un ravin, qui avait été un boyau communiquant à la première ligne, une vingtaine de Canadiens écossais avaient été surpris, annihilés, déshabillés. Ces martyrs étaient nus, outrageusement nus, couchés dans le sang. Le soleil de juin éclairait ce tableau lugubre.<br /> <br /> Contre une claie renversée sur un restant de parapet, deux soldats, un Canadien et un Allemand, la baïonnette dans le ventre tous les deux, étaient penchés l'un près de l'autre. Les fusils meurtriers formaient un X. L'Allemand, la tête rejetée en arrière sur un sac de terre, les jambes légèrement fléchies, avait été touché au coeur ; le Canadien, lui, avait le bras gauche cassé, la baïonnette ennemie l'avait traversé de part en part, au-dessus du coeur ; la pointe dépassait en arrière de l'épaule gauche. Sa main <br /> droite était crispée sur l'épaulette de son adversaire, et il s'était éteint là, sur ce bras droit, la tête penchée, à vingt ans tous les deux.<br /> <br /> CORNELOUP, Claudius, Sergent-Major. -L'épopée du 22e bataillon Canadien-français.- Montréal:<br /> "La Presse" | Librairie Beauchemin Limitée, 1919.<br /> - 150 p., ch III, -Ypres.- pp. 41-42.
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B
C'EST AUJOURD'HUI vers le milieu du jour qu'il est tombé. Les soldats avançaient en tirailleurs, à travers bois et faisaient de grands bonds, la tête basse, très vite, à cause des balles qui passaient, claquant aux arbres, si nombreuses qu'elles faisaient en passant une longue plainte douce, un froissement continu de voile qu'on déchire.<br /> Les hommes tués tombaient la figure dans l'herbe, sans crier, avec un grand choc sourd. Les soldats couraient plus vite et se couchaient pour tirer devant eux, sans rien voir ... <br /> Lui, je l'ai vu tomber. C'est en plein ventre que la balle est entrée. Je ne l'ai pas entendu gémir, mais sa figure est devenue blanche, toute blanche comme une pierre de craie. <br /> Je ne crois pas qu'il ait remué beaucoup, deux ou trois fois peut-être, puis son corps est devenu tout flasque et sa pauvre tête s'est enfoncée dans l'herbe, les yeux grands ouverts. Un peu d'écume rose a coulé sur son col de capote, par les coins de la bouche .... <br /> Vers le soir, il a repris connaissance. Tout autour de lui, sous les arbres, c'est déjà la nuit qui vient, la nuit terrible à ceux qui vont mourir. <br /> Là-bas, on dirait que la bataille s'est tue. <br /> De temps à autre, un coup de fusil claque. Le choc rythmé des gros obus résonne, qui s'en viennent par trois et font, dans la nuit sombre, trois éclairs rouges qui s'allument ... <br /> D'abord, il n'a pas souffert. Sa tête lui semblait légère, si légère qu'il n'a pas su tout de suite ce qui était arrivé. Puis la douleur est tombée sur lui, d'un seul coup, plantant dans sa chair une griffe si dure que tout son corps en a frémi. Alors ceux qui mouraient aussi dans l'herbe, autour de lui, ont entendu le cri terrible que sa pauvre gorge a poussé. Et puis ce cri s'est assourdi très vite, pour devenir la plainte affreuse, si profonde, de ceux qui luttent contre la mort. <br /> C'est à ce moment-là qu'il vous a vue et qu'il s'est mis à vous appeler de tout son être, de sa pauvre chair sanglante, et de son âme angoissée. A vous appeler sans cesse sur ce ton monotone et si triste qu'ils ont tous: « Maman, maman, maman! .... » pendant des heures si longues de cette nuit dernière où ses yeux chavirés sous ses paupières blanches, vous ont vue. Et tous autour de lui avaient cette même plainte navrante d'enfant qui souffre. <br /> Dans le fond du bois, un soldat blessé d'une balle à la tête, commandait sans arrêt au fond de son délire: « Avancez, feu, avancez, feu, avancez, feu … » Une autre plainte enfin, pour varier la chanson de ceux qui vont mourir : «J'ai soif, oh, j'ai soif ». Tout cela faisait une étrange clameur dans l'ombre. Et nous qui l'entendions monter tout autour de nous, couchés en tas, vaincus par l'affreuse fatigue d'un jour de bataille, nous avions le cœur serré d'entendre tous ces mourants souffrir.<br /> Sa voix s'est affaiblie vers le matin, à cause du sang qui s'en allait et qui faisait sous lui une flaque plus grande. Puis son délire a commencé. Alors il a cessé de souffrir et ses yeux vous ont perdue. <br /> Nul ne sait quel songe bizarre a hanté son agonie jusqu'au jour. Il a crié deux fois, du fond de sa torpeur: « Donnez quarante, donnez quarante », et sa voix avait cette monotonie sans accent des dormeurs qui parlent en rêvant… <br /> Enfin, l'aube s'est levée et votre fils est mort, doucement, tout doucement : ses deux bras se sont étendus à ses côtés. Ses mains, une ou deux fois, ont gratté la terre. Son corps s'est raidi. Sa bouche s'est ouverte et sa face est devenue de cire. <br /> Le soleil de midi, quand il perça sous les branches, éclaira sa figure assombrie et ses lèvres déjà noires. Des mouches, bourdonnant, se sont posées sur son visage ... <br /> <br /> Sous -LIEUTENANT GUY HALLE, <br /> Courgivaux, septembre 1914<br /> LÀ-bas avec ceux qui souffrent. <br /> Garnier Frères, 1917.
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B
C'EST AUJOURD'HUI vers le milieu du jour qu'il est tombé. Les soldats avançaient en tirailleurs, à travers bois et faisaient de grands bonds, la tête basse, très vite, à cause des balles qui passaient, claquant aux arbres, si nombreuses qu'elles faisaient en passant une longue plainte douce, un froissement continu de voile qu'on déchire.<br /> Les hommes tués tombaient la figure dans l'herbe, sans crier, avec un grand choc sourd. Les soldats couraient plus vite et se couchaient pour tirer devant eux, sans rien voir ... <br /> Lui, je l'ai vu tomber. C'est en plein ventre que la balle est entrée. Je ne l'ai pas entendu gémir, mais sa figure est devenue blanche, toute blanche comme une pierre de craie. <br /> Je ne crois pas qu'il ait remué beaucoup, deux ou trois fois peut-être, puis son corps est devenu tout flasque et sa pauvre tête s'est enfoncée dans l'herbe, les yeux grands ouverts. Un peu d'écume rose a coulé sur son col de capote, par les coins de la bouche .... <br /> Vers le soir, il a repris connaissance. Tout autour de lui, sous les arbres, c'est déjà la nuit qui vient, la nuit terrible à ceux qui vont mourir. <br /> Là-bas, on dirait que la bataille s'est tue. <br /> De temps à autre, un coup de fusil claque. Le choc rythmé des gros obus résonne, qui s'en viennent par trois et font, dans la nuit sombre, trois éclairs rouges qui s'allument ... <br /> D'abord, il n'a pas souffert. Sa tête lui semblait légère, si légère qu'il n'a pas su tout de suite ce qui était arrivé. Puis la douleur est tombée sur lui, d'un seul coup, plantant dans sa chair une griffe si dure que tout son corps en a frémi. Alors ceux qui mouraient aussi dans l'herbe, autour de lui, ont entendu le cri terrible que sa pauvre gorge a poussé. Et puis ce cri s'est assourdi très vite, pour devenir la plainte affreuse, si profonde, de ceux qui luttent contre la mort. <br /> C'est à ce moment-là qu'il vous a vue et qu'il s'est mis à vous appeler de tout son être, de sa pauvre chair sanglante, et de son âme angoissée. A vous appeler sans cesse sur ce ton monotone et si triste qu'ils ont tous: « Maman, maman, maman! .... » pendant des heures si longues de cette nuit dernière où ses yeux chavirés sous ses paupières blanches, vous ont vue. Et tous autour de lui avaient cette même plainte navrante d'enfant qui souffre. <br /> Dans le fond du bois, un soldat blessé d'une balle à la tête, commandait sans arrêt au fond de son délire: « Avancez, feu, avancez, feu, avancez, feu … » Une autre plainte enfin, pour varier la chanson de ceux qui vont mourir : «J'ai soif, oh, j'ai soif ». Tout cela faisait une étrange clameur dans l'ombre. Et nous qui l'entendions monter tout autour de nous, couchés en tas, vaincus par l'affreuse fatigue d'un jour de bataille, nous avions le cœur serré d'entendre tous ces mourants souffrir.<br /> Sa voix s'est affaiblie vers le matin, à cause du sang qui s'en allait et qui faisait sous lui une flaque plus grande. Puis son délire a commencé. Alors il a cessé de souffrir et ses yeux vous ont perdue. <br /> Nul ne sait quel songe bizarre a hanté son agonie jusqu'au jour. Il a crié deux fois, du fond de sa torpeur: « Donnez quarante, donnez quarante », et sa voix avait cette monotonie sans accent des dormeurs qui parlent en rêvant… <br /> Enfin, l'aube s'est levée et votre fils est mort, doucement, tout doucement : ses deux bras se sont étendus à ses côtés. Ses mains, une ou deux fois, ont gratté la terre. Son corps s'est raidi. Sa bouche s'est ouverte et sa face est devenue de cire. <br /> Le soleil de midi, quand il perça sous les branches, éclaira sa figure assombrie et ses lèvres déjà noires. Des mouches, bourdonnant, se sont posées sur son visage ... <br /> <br /> Sous -LIEUTENANT GUY HALLE, <br /> Courgivaux, septembre 1914<br /> LÀ-bas avec ceux qui souffrent. <br /> Garnier Frères, 1917.
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