Août 2005 - Un monument du 74e R.I. !
On déplore souvent, et à juste titre, l'oubli dans lequel sombrent les monuments ou stèles commémorant la geste de la Grande Guerre. Beaucoup sont irrémédiablement délabrés, partiellement illisibles... Cet abandon, injustifiable - bien que l'on opposera toujours quelques raisons fumeuses afin de ne surtout pas bouger le petit doigt et cela avec la meilleure conscience - bref, cet abandon ne doit cependant pas faire écran aux initiatives de bonne volonté. Et il y en a encore ! Heureusement.
C'est ainsi que, 91 ans après l'engagement du 74e R.I. à Roselies, en Belgique sur la Sambre, nous avons assisté, le 21 août dernier, avec émotion et satisfaction, à l'inauguration d'un monument commémorant le rôle du 74e R.I. dans ce que l'on appelle génériquement la bataille de Charleroi. Ce fut le premier engagement du régiment ; plus de 230 morts, et au moins 700 blessés et prisonniers... Je reviendrai un jour plus en détail sur ce premier combat.
Le monument est situé sur la Place du 74e R.I., à Roselies. Beaucoup de monde lors de la cérémonie - délégations belge et française. J'ai eu le plaisir d'y retrouver quelques amis qui, via internet, m'ont énormément aidé dans mes recherches sur ces combats d'août 1914. Accueil chaleureux et généreux (encore bravo à la mère d'Augustin pour son excellent lapin aux échalottes, pruneaux et raisins !!! ;-)))
Je suis resté deux jours là-bas afin de découvrir et de m'imprégner de ces lieux que je ne connaissais qu'à travers les récits et documents que j'avais eu l'occasion d'étudier. Un autre point fort de mon séjour fut la cérémonie organisée le lendemain, dimanche, à la nécropole de la Belle-Motte... Grosse émotion !
Je notais, au retour, dans un carnet :
" Barier Marcel, Bazire Gustave, Bellemer Ernest... les noms tombent, les uns après les autres. La Philharmonique Royale Sainte-Marie charge l'air déjà brouillé de cette matinée maussade de notes lentes et basses. Le glas, là-dessus, vient poser ses coups de grâce, implaccable.
...Gaillard Charles, Gelienne Louis, Grout Victor... La petite assemblée des vivants est figée. Seul, le prêtre arpente les allées du cimetière, abattant régulièrement son encensoir d'un mouvement ferme. Recueilli, il bénit les croix... Il y en a plus de 1000... Alors, il ne fait pas dans le détail ; il avance d'un pas décidé mais ne parvient cependant pas à terminer son office avant la fin de la litanie... Schwab Albert, Vattier-Descours Arthur, Verger Edouart...
...Werhlin Henri.
Voilà, c'est fini. Une quarantaine de noms qui me sont familiers viennent de froisser l'air. Je suis troublé d'entendre ces noms prononcés par d'autres que moi ; et je suis heureux que d'autres que moi les entendent. Au moins une fois. Le prêtre termine sa bénédiction et maintenant, l'air, débarassé du glas et de la musique, devient limpide, s'allège. Il y a même quelques rayons de soleil qui tentent de venir jusqu'à nous ourlant d'or les arêtes des croix . Mais, c'est certain, la journée restera pourrie et ces rayons n'auront pas la force de s'imposer. Peu importe. L'important, c'est d'être là, dans ce cimetiètre, au milieu des 1182 tombes et face à ces deux ossuaires renfermant les ossements de près de 3000 hommes.
La Nécropole de la Belle-Motte, sur la Sambre. Les gars du 74e ne sont pas seuls ici ; d'autres, des 1er, 3e et 10e Corps d'armée sont là. Certains - on aurait envie de dire : les chanceux ! mais on n'ose pas, tout de même - ont une tombe. On peut leur faire face, s'incliner devant leur pauvre croix, lire leur nom, regarder si le sol autour d'eux est propre, ferme ; on peut s'entretenir en tête à tête : "Toi, je te connais un peu... L'historique de ton régiment m'a dit comment cela c'est terminé : mal, mais en beauté. Oui, il faut que tu saches que dans les historiques la mort des pauvres bougres comme toi est toujours nimbée de gloire - elle est belle et utile... Toi, sans doute, apporterais-tu quelques nuances et l'as-tu ressenti autrement... Il y eut de la peur, du feu, du bruit, de l'acier qui fendait l'air, une belle pagaïe dans les rues de Roselies, la panique, les cris, le sang, la douleur, la mort..."
Augustin et Alex me tirent de ma rêverie. On va aller photographier toutes les tombes des gars du 74e. Car, les "chanceux" ont même l'honneur de se faire tirer le portrait en ce mois d'août 2005. Pour les autres, les 2875 qui sont rassemblés dans les deux ossuaires, il faudra se contenter de photo de groupe... "