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22 octobre 2023

Une jeune famille pulvérisée par la guerre...

 

Capture d’écran 2023-10-22 à 16

 

Je voudrais avant tout remercier Jean-Claude Planson, arrière-petit-fils de Jules, qui, il y a déjà de nombreuses années, m'avait confié les éléments de cette terrible tragédie familiale. Très tardivement, voici cette histoire. 

Le 22 mai 1915, le 74e quitte les tranchées de Berry-au-Bac et, plus généralement, un secteur relativement calme qu’il occupait depuis la stabilisation du front en septembre 1914. Après une journée de train, le régiment débarque à Doullens, dans le Pas-de-Calais, et va cantonner à Le Souich en attendant d’être appelé à prendre sa place dans les violents combats engagés en Artois depuis le début du mois de mai. Le 25, l’ordre tombe : le régiment va être embarqué en camions et dirigé vers la ligne de front. Le soldat Joseph Lefay, dans ses notes, se souvient que cet embarquement fut marqué d’une scène particulièrement émouvante : 

« […] Quand les deux jours furent écoulés, un convoi d’autos-camions vient nous embarquer. Nous montons en camion vers midi. Le camion avant le nôtre que nous devions monter, nous eûmes la surprise de voir le sergent conducteur se rencontrer par coïncidence avec son fils, qui était jeune caporal au 74e R.I., qui était parmi nous et qui attendait comme nous pour monter. Donc, le fils monta avec son père ; ils ne s’avaient pas vus depuis la guerre. Quelques larmes coulaient dans les yeux du père qui conduisait son fils en tranchées. »

Le hasard veut que je dispose, grâce à un de ses descendants, de la correspondance de Jules Pariselle, le caporal qui a rencontré son père : il relate dans une lettre destinée à son épouse, Emilie, ce moment étonnant : 

« […] Moi voilà trois jours que je ne t’ai pas écris, car je n’en ai pas eu le temps. Mais surement qu’a l’heure ou je t’écris ces mots tu dois avoir eu de mes nouvelles car j’ai eu le plaisir de rencontrer mon père car nous avons voyagé en auto. Tu parles d’une joie qu’il était de me rencontrer. Au départ on ne leur avait pas dis quel régiment ils transportaient. Aussitôt que mon père a vu que c’était le 74e, il ne perdait pas tout le monde de vue. C’est moi qui l’ai aperçu le premier. Aussitôt vu son numéro de section j’ai demandé s’il était là. Il a fait vite de descendre de voiture et de me sauter au cou. Tous les chauffeurs de sa section sont venu me serrer la main, ainsi que son lieutenant qui a l’air d’un bon type. Je ne lui ai pas caché que je t’avais envoyé le mandat de 10 francs. Il m’en a redonné 10 autres et il m’a dis qu’il allait vous envoyer de l’argent. Sa paye ne sera pas mauvaise, 280 francs par mois plus une prime de 400 francs qu’il touchera a sa nomination. Je crois qu’il va demander pour que je revienne avec lui. On manque de personnel dans les transports automobiles. Si j’avais cette chance là, mais je n’espère plus après toutes les demandes faites. »

On imagine aisément l’intensité des émotions que ces retrouvailles fortuites ont provoquées. Il fallait vraiment un drôle de hasard pour mettre ainsi en face le père et le fils… Et quels sentiments étranges ont dû assaillir le père conduisant le fils vers le champ de bataille pour le déposer au bord de la fournaise… C’est ce qui fut fait… Joseph Lefay, camarade de la 11e Cie, continue de noter :   

« […] Nous fûmes, pour commencer, en troisième ligne. Le lendemain nous allons aux distributions sur la route. Vers 11 heures du soir nous allons toucher le pain, le vin et l’eau-de-vie. Il y avait là une masse de troupe, la 11e Cie qui était rassemblée sur cette route pour aller prendre les premières lignes. Mais malheureusement, voilà six obus qui viennent tomber sur la 11e Cie. Voyant un pareil spectacle, je me mets dans une tranchée. Quand le bombardement fut fini, de grands malheurs étaient arrivés – surtout à la 11e Cie. L’on faisait que d’entendre des plaintes. Le malheureux caporal qui venait de voir son père un jour avant fut tué, les deux jambes coupées. D’autres n’avaient plus qu’une jambe, d’autres blessés. En dix minutes l’on a compté vingt-cinq blessés et sept morts. »

 

A2P21-1     A2P21-2

Photos prises le 25 mai 1915, lors de l'enlèvement du 74e R.I. 

 

Jules Pariselle était à la 12e Cie qui devait, ce soir-là, monter en première ligne et relever une compagnie du 228e R.I. Il n’aura pas eu le temps de prendre sa place dans la tranchée et comptera, avec ses camarades d’infortune, parmi les premiers tués de l’Artois du 74eR.I. Deux lignes dans la J.M.O. : « Au cours de cette relève, la 12e Cie a essuyé une rafale d’artillerie ennemie qui lui occasionne des pertes importantes. » Avant de gagner les premières lignes, Jules eut le temps de remettre au vaguemestre la lettre dans laquelle il relatait sa rencontre, trois jours plus tôt, avec son père… Ce fut sa dernière lettre.

 

Pariselle - Jean

 

Jules et de son père se sont vus une dernière fois aux portes de l’enfer de Neuville-Saint-Vaast. Pour le premier fut sans doute une ultime joie. Mais quels furent les sentiments du père lorsqu’il apprit la mort de Jules et qu’il réalisa qu’elle survint quelques heures après qu’il avait déposé son fils au pied du Calvaire… Victimes du devoir, tous les deux… l’un ayant donné sa vie, l’autre ayant offert son fils…

La mort de Jules ne fut, hélas, que le début d’un cauchemar absolu pour sa famille. Jules avait épousé Émilie avant guerre et de cette union naissait, le 20 septembre 1913, leur premier enfant, Henri. A cette date, le couple résidait à Levallois-Perret ; lui avait 25 ans, était chaudronnier-tôlier ; elle en avait 20 et était blanchisseuse. Moins d’un an plus tard, le 2 août 1914, la guerre éclate, et Jules part combattre dans les rangs du 74e R.I. Passent quelques mois et c’est dans les tranchées de la Marne que Jules se réjouit de la naissance de Raymonde, leur second enfant, née le 26 février 1915, au 218 de la rue Daumesnil, Paris 12e, où est alors logée Émilie ; c’est un télégramme qui lui apprend la bonne nouvelle : 

« Je m’empresse de t’écrire ces quelques lignes pour te dire que j’ai reçu le pneumatique d’Adolphe hier soir. Quand j’ai vu de qui ça venait, je n’ai eu aucun doute sur la nouvelle. J’espère que tout c’est bien passé et que vous êtes en bonne santé́, toi et notre petite Raymonde. Tu vois je ne cherche pas longtemps son nom car je sais que c’est celui que vous lui avez donné. » (Lettre du 1er mars 1915)

Quelques jours après, dans sa lettre du 6 mars :

« […] J’ai été étonné de recevoir le pneu d’Adolphe. Justement j’étais de service dans la tranchée quand on me l’a donné. Je me demandait déjà̀ ce qu’il pouvait être arrivé a l’un ou à l’autre. J’ai couru vivement la décacheté́ dans un gourbi car nous ne pouvons pas faire de lumière et il était 8 heures du soir quand je l’ai eu. Je n’allait pas assez vite a l’ouvrir. J’était content de savoir, mais pas complètement rassuré. On dit parfois que ça va bien, et ça ne va pas du tout. Maintenant que tu m’a écris, j’ai confiance. Je me doutais bien que tu allait appeler la petite Raymonde, c’est ce nom que nous avions toujours dis que nous lui donnerions si c’était une fille. Nous avons encore bien travaillé cette fois-ci, nos vœux se réalise, c’est épatant. »

Un peu plus loin : 

« […] Maintenant que je sais que j’ai une fille comment que le temps va me sembler plus long aussi de ne pas la connaître. Déjà̀ pour notre Riri je n’ai pas eu le plaisir d’assister a ses premiers pas. C’est dur tout de même cette séparation et combien de temps cela va encore durer. » 

Nous savons qu’il ne connaîtra jamais sa fille, ni ne reverra sa femme et son fils Henri… Trois mois plus tard, le 28 mai 1915, Jules est tué sur ce front d’Artois où son propre père l’a déposé...

Une semaine plus tard… le 4 juin 1915… Émilie avait-elle déjà été prévenue de la mort de son époux ? Ce n’est pas certain… L’a-t-elle apprise ce jour-même ? Ce même 4 juin, où leur fille, Raymonde, mourrait à l’âge de trois mois ! Émilie a-t-elle perdu sa fille le jour même où elle apprenait la mort de son mari ? Je ne sais rien des causes du décès de cette enfant… La guerre n’y est peut-être pour rien… Mais… sans la guerre… ? On ne peut s’empêcher de se poser la question… Sans la guerre… ? tout se serait peut-être passé autrement… 

Et lorsque l’on découvre qu’Émilie, moins d’un an plus tard, le 2 avril 1916, à quelques jours d’atteindre ses 22 ans, à son tour, décède… On ne peut s’empêcher de se poser à nouveau la question… Sans la guerre… ? tout se serait peut-être passé autrement… 

Henri sera le seul rescapé de cette tragédie familiale… Le 11 novembre 1918, il a 5 ans… la guerre lui aura pris sa mère, son père, sa sœur… Que lui offrira la Paix … ?

 

Capture d’écran 2023-10-22 à 16

Henri

 

Sources

  • Journal des Marches et Opérations du 74e R.I.
  • Correspondance de Jules Pariselle, 12e Cie
  • Cahier de souvenirs de Joseph Lefay, 11e Cie
  • Photographies de Gabriel Le Ber, sous-lieutenant à la 10e Cie.

 

 

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